« (...) Nous sommes arrivés à un tournant de l’histoire de la parentalité et de la famille. Au fil des décennies, le tissu familial semble toujours plus affecté par une mutation rapide et profonde de la société. Le drame est qu’au moment même où la famille est de plus en plus sollicitée (par les médias, les autorités publiques ou les membres mêmes de la famille), celle-ci voit diminuer le soutien dont elle disposait. De surcroît, la fonction parentale présente un caractère unique à ce moment de l’histoire : en raison des profonds changements des normes et des lois, les adultes sont amenés à réinventer la signification de partenariat entre l’homme et la femme et à constituer un nouveau mode de leadership des enfants et des jeunes gens (Juul 2005). C’est pourquoi, les parents ont besoin, aujourd’hui, d’informations spécifiques, de soutien et de compétences qui leur permettent de bâtir des espoirs et de les réaliser pour leur propre développement et celui de leurs
enfants. Pour cela et pour d’autres raisons, la politique publique ne peut pas se permettre de rester inactive sur la question de la parentalité.
La Convention des Nations Unies sur les droits de l’enfant (CNUDE), adoptée en 1989, a profondément modifié le contexte dans lequel s’exerce la parentalité. En déplaçant le regard vers les enfants, à qui elle accorde des droits en tant que personnes, la Convention a redéfini non seulement la place de l’enfant dans la société, mais aussi la relation entre parents et enfants. Le processus qu’elle a enclenché, et qui s’est progressivement étendu au monde entier, s’apparente à une révolution tranquille. C’est l’un des principaux points de départ de ce rapport : il s’efforce de dégager les implications de la CNUDE pour la parentalité et, plus encore, à exposer en parallèle la situation juridique et les dernières connaissances issues de la recherche et de la pratique concernant les éléments constitutifs d’une bonne parentalité. Le rapport développe la notion de « parentalité positive », centrée sur une parentalité qui respecte les droits de l’enfant et son intérêt supérieurcomme le veut la CNUDE tout en tenant compte des besoins et des ressources des parents.
L’esprit de ce rapport est de donner des capacités, en étudiant plus particulièrement les ressources et les différents types de « capital » nécessaires à la parentalité ainsi que les droits et obligations connexes pour réaliser ces ressources. Voilà ce que l’on entend par « parentalité positive », ces droits et obligations se rapportant à un ensemble de parties.Dans ce rapport, nous souhaitons présenter la parentalité sous la forme d’une « communauté » de parties déterminantes : les parents, les enfants, les prestataires de services locaux et nationaux, l’État. Chacun a ses obligations et (doit être) doté de ressources pour les remplir et exercer les droits et responsabilités qu’implique la parentalité. Le but ultime est d’améliorer la qualité de vie des enfants, celle de leurs parents, et en dernier lieu, la société même.
Le rapport a pour objectifs spécifiques de :
identifier les principales évolutions en matière de parentalité et l’état actuel des connaissances concernant les normes et les pratiques dans ce domaine ;
identifier ce qui semble être de bonnes réponses à des situations nouvelles et déterminer les perspectives en termes de recherche ainsi qu’en termes de politique et de financement de cette politique ;
élaborer les lignes directrices concernant la parentalité et les droits de l’enfant, applicables aux parents, aux professionnels, aux prestataires de services et à l’État.
Le Conseil de l’Europe a été un des premiers à éclaircir la compréhension de l’enfance et de la vie de famille ainsi qu’à travailler pour améliorer la vie des groupes et individus vulnérables et exclus. Le Conseil reconnaît que l’équilibre entre les droits de l’enfant et la responsabilité parentale reste encore à approfondir. Ce rapport est une continuation des activités du Conseil à cet égard.
Un certain nombre d’activités du Conseil de l’Europe forment la toile de fond immédiate de ce rapport. C’est une initiative du Comité d’experts sur l’enfance et la famille (CS-EF) – comité établi en 2004 avec pour mission de « soutenir les parents dans l’intérêt supérieur de l’enfant ». Le CS-EF agit sous les auspices du Comité européen pour la cohésion sociale (CDCS). Il a été créé à la suite du sommet de Strasbourg en 1997 et, au sein du Conseil de l’Europe, il est l’organe principal qui a compétence dans le domaine de l’enfant et de la famille. Le CDCS a promu différentes activités touchant à ce domaine, parmi lesquelles les plus notables ont été le Programme pour l’enfant suivi de l’établissement en 2001 d’un Forum pour l’enfant et la famille. Celui-ci s’est réuni deux fois par an depuis, servant de point de concentration pour les questions relatives à l’enfant et à la famille en Europe. L’enfant et la violence a été l’un des thèmes majeurs des travaux récents du CDCS et du Conseil. Au sein du CS-EF, deux groupes de travail ont été constitués, l’un sur les compétences parentales pour prévenir et combattre la violence à l’égard des enfants, le deuxième sur la parentalité des enfants présentant un risque d’exclusion sociale. Les activités de ces deux groupes de travail sont centrales pour le présent rapport qui s’inspire largement des travaux menés par les membres des groupes et par les consultants.
Philosophie directrice du Rapport
Ce rapport rompt avec un certain nombre des principes initiaux relatifs à la parentalité.
Tout d’abord, il faut considérer la parentalité comme une étape du processus familial.
Ainsi, une activité qui a lieu dans un contexte familial spécifique est imprégnée des liens affectifs et autres qui lient les membres de cette famille les uns aux autres. En considérant la parenté comme une étape de la vie familiale, nous faisons également référence au fait que c’est une période transitoire parmi les différentes phases de la vie familiale qui marquent son évolution et sa maturité. Là, il faut faire un lien avec la parentalité en tant qu’évolution : elle évolue au fur et à mesure que la vie familiale mûrit et que les sociétés développent leur réflexion sur la parentalité et plus généralement, la vie familiale. Ce dernier point souligne le poids de la composante « sociale » dans la parentalité. Si, par de nombreux aspects, son relationnel et ses pratiques sont d’ordre privé, la parentalité est également façonnée par ce que la société comprend et attend d’un comportement parental approprié et par la façon dont l’État bâtit sa politique publique.
Le second principe qui sous-tend ce rapport est que la parentalité est une activité qui a besoin de soutien. Tous les parents ont connu des moments et des situations de grande difficulté : l’accouchement, le deuil et le stress des premières années de mariage et de parentalité. Ajoutons à cela que certains parents ont plus besoin de soutien, peut-être parce qu’ils sont dans une structure monoparentale, qu’ils disposent d’un revenu faible pour élever leurs enfants ou parce que la famille doit faire face à un problème de santé ou d’un autre ordre. Il ressort de tout ceci que les autorités doivent reconnaître la parentalité comme étant un domaine de politique publique à provisionner. Le fait que les décideurs et responsables politiques reconnaissent cela constitue une première étape importante pour la mise en place des structures de soutien nécessaires. Même si c’est un plus grand pas à faire pour certains pays que pour d’autres, tous les pays doivent prendre des mesures.
Le troisième principe qui sous-tend l’approche du Conseil de l’Europe est qu’il n’existe pas une seule façon standardisée d’exercer le rôle de parent. La recherche n’est pas la seule à souscrire à un éventail d’approches : la vie est si diverse de nos jours qu’il faut accommoder les différences. _ C’est pourquoi une approche plurielle est recommandée. Si ce point de départ rend plus difficile la définition de lignes directrices, il est conforme avec la ligne d’approche du Conseil vis-à-vis de la famille qui va dans le sens d’une approche globale de ce qui constitue une famille et des membres qui la forment. Dans cet état d’esprit, le rapport entreprend de définir des principes généraux en matière de parentalité plutôt que des prescriptions spécifiques. Ces principes sont conçus comme un cadre général applicable à l’exercice de la parentalité, cadre qui indique clairement les types de comportement souhaitables tout en laissant une très large latitude aux parents quant à la manière de transposer ces généralités dans la pratique.
Quatrièmement, si les devoirs ont été mis en avant dans des articles et des conférences récentes, le Conseil de l’Europe pense qu’il y a avantage à changer d’éclairage. En particulier, ce rapport s’attache à améliorer les conditions d’exercice de la parentalité de façon que parents et enfants puissent jouir de leurs droits et respecter leurs obligations.
En d’autres termes, ce rapport s’intéresse pour une grande part aux activités concrètes liées au rôle de parent et au soutien à ce rôle. On pourrait dire que les conditions sociales de la parentalité sont considérées comme centrales pour l’exercice des droits et obligations.
Enfin, ce rapport s’appuie sur l’idée que la parentalité implique les parents et les enfants.
C’est pourquoi il s’intéresse aux besoins et aux droits de l’enfant et à ceux des parents, père et mère, et repose sur l’idée que l’ensemble complexe des relations impliquées se renforce mutuellement. Pour expliciter ce point, disons qu’une bonne parentalité profite à la fois aux enfants et aux parents, que la parentalité ne peut être définie comme positive que si elle s’exerce pour le bénéfice mutuel de chacun.
Définitions et champ d’application
Le présent rapport concentre son attention sur la parentalité dans les sociétés contemporaines d’Europe. La notion de parentalité se développe à une période où les pays européens s’interrogent sur rôle de la famille, la place de l’enfant et le renouvellement démographique. Dans ces conditions, comment ce rapport définit-il la notion de « parentalité » ?
Il faut reconnaître que toutes les langues européennes n’envisagent pas de la même façon le concept de parentalité. S’il existe deux mots différents en anglais, avec parenthood et parenting, ainsi qu’en français avec parenté et parentalité, la majorité des pays ne disposent pas de deux vocables distincts et emploient un même mot pour couvrir les deux concepts, comme par exemple rodzicielstwo en polonais (tout comme en russe), ou des notions voisines telles que la condition parentale ou la fonction parentale. Ce rapport souligne combien ce terme de « parentalité », relativement nouveau, est à plusieurs dimensions : • les dimensions relationnelles, qui intègrent l’amour parental aux systèmes sociétaux ;
les dimensions rationnelles fondamentales : valeurs et objectifs éducatifs ;
les dimensions rationnelles appliquées : transmission des acquisitions et pratiques pédagogiques/éducatives.
Il convient de donner à la parentalité une définition englobant à la fois l’environnement physique, le milieu social, son histoire et ses dimensions relationnelles, rationnelles et appliquées. Aux fins du présent rapport, la parentalité désigne les ensembles actuels de relations et activités dans lesquelles les parents sont impliqués pour soigner et éduquer les enfants. La parentalité implique alors un ensemble de réaménagements psychiques et affectifs qui permettent à des adultes de jouer leur rôle de parents, c’est-à-dire de répondre aux besoins de leurs enfants sur les plans physique, affectif, intellectuel et social.
Cette définition de la parentalité est utilisée dans le contexte de :
la reconnaissance de la diversité des formes familiales et des valeurs liées à la
famille ;
l’évolution du Droit des enfants à bénéficier d’une éducation au sein de sa famille quelle que soit la condition sociale des adultes qui la composent ;
la persistance de la vie de famille comme modèle et comme repère même si la famille subit des mutations profondes.
Le rapport s’intéresse particulièrement à la qualité de la parentalité et son intention est de démontrer implicitement la nécessité de soutenir un ensemble de principes directeurs, à l’intention des parties publiques, destinés à améliorer la qualité et les conditions de parentalité des sociétés européennes. Souvent, les écrits et les connaissances portent davantage sur ce qui constitue une parentalité mauvaise ou négative que sur le bon exercice de la parentalité. Le présent rapport vise à corriger ce déséquilibre. Il développe la notion de parentalité positive, dont on peut dire qu’elle consiste à encourager la création de relations positives entre parents et enfants et à permettre à l’enfant de développer pleinement son potentiel. Nous définissons la parentalité positive comme une parentalité qui respecte et soutient les droits de l’enfant tels qu’énoncés dans la CNUDE.
À ce titre, elle est fidèle aux principes de la non-discrimination, de la primauté de l’intérêt supérieur de l’enfant dans toutes les actions le concernant, du droit de l’enfant à la survie et au développement dans toute la mesure du possible et du respect des opinions de l’enfant. Elle peut également être désignée comme une « parentalité dans l’intérêt supérieur de l’enfant » et résumée comme une parentalité qui apporte à l’enfant structureet reconnaissance, favorise son épanouissement et développe son autonomie. L’un des messages essentiels de ce rapport est que ce type de parentalité, non content d’encourager l’autonomie de l’enfant, développe également des compétences et un sentiment de confiance chez les personnes qui exercent le rôle de parents.
Concernant la terminologie, le rapport désigne par le terme de « parentalité » non seulement les activités des parents biologiques, mais aussi celles des personnes qui ne sont pas les parents de l’enfant mais participent à sa prise en charge et à son éducation.
En un sens, les mots « parentalité » et « parents » sont utilisés ici comme une sorte de raccourci englobant toutes les activités et les personnes liées au fait d’élever un enfant. Nous partons également de l’idée que la parentalité n’est pas une activité asexuée, en ce que mères et pères ont souvent des expériences et des approches différentes. Cela vaut aussi pour les filles et les garçons. Cette constatation est sous-entendue dans tout le
rapport : là aussi, les mots « parent » et « enfant » devraient être considérés des termes génériques dont l’usage s’est imposé à nous pour des raisons d’espace et de fluidité de la langue.
_ Méthodologie et approche
Le rapport utilise l’analyse documentaire comme méthodologie. Les recherches sur lesquelles il se fonde ont été menées par un examen de documents relatifs au droit de la famille, de rapports de recherche ayant des liens avec la famille, de rapports de recherche médicaux et psychologiques. Les sources consultées comprennent des bases de données spécialisées, des bases de données de recherche, des ressources bibliographiques et les sites web des organisations internationales et des gouvernements. Le fond du rapport émane d’un certain nombre de consultants, spécialistes d’un éventail de domaines et de disciplines. Leur nom est indiqué au début de chaque chapitre. Nous les remercions de leur contribution.
Outre la présente introduction, le rapport se compose de quatre chapitres se concluant chacun par un résumé. Le premier traite de la nature de la parenté, de l’enfance et de la vie familiale dans l’Europe d’aujourd’hui. Il vise à faire une présentation générale de la pensée et des connaissances les plus avancées sur la parentalité et la vie de l’enfant, et de leur évolution. Une attention spéciale est portée à la Convention des Nations Unies sur les droits de l’enfant parce que le paysage juridique et, sous de nombreux aspects, institutionnel dans lequel s’inscrit la parentalité, s’en est trouvé changé. Le deuxième chapitre réfléchit à la violence et aux châtiments corporels infligés aux enfants en informant le lecteur sur les raisons d’abandonner le châtiment physique et en suggérant un éventail d’approches à la place. Le troisième chapitre passe à la critique et commente les mesures et programmes de politique familiale ainsi que les mesures mises en place pour soutenir les parents. Comme les chapitres précédents, il est conçu comme une vue d’ensemble du domaine. Le quatrième chapitre traite du comportement lié à la drogue et de ses implications pour la parentalité. Là aussi, le chapitre revient sur les dernières recherches, présentant l’état actuel des connaissances sur les liens entre parentalité et consommation de drogues chez les jeunes ainsi que certaines des réponses politiques parmi les plus importantes. _ Enfin, le rapport s’achève par un bref résumé général. »
Publication : « Evolution de la parentalité : Enfants Aujourd’hui, Parents Demain » La Parentalité Positive dans l’Europe Contemporaine édité par Mary DALY, d’après des travaux de Staffan Janson, Christian Lalière, Nina Pećnik, Maj Berger Sæther, Mona Sandbaek document publié par le Conseil de l’Europe.
Nota : Les opinions exprimées dans cet ouvrage sont de la responsabilité des auteurs et ne reflètent pas nécessairement la ligne officielle du Conseil de l’Europe.
Document intégral téléchargeable infra ( 110 pages).