Entretien avec Myriam Szejer
Disciple de Françoise Dolto, pédopsychiatre et psychanalyste, Myriam Szejer [1] pratique depuis dix ans à la maternité Antoine-Béclère ce que l’on appelle l’écoute post-partum auprès des mères et des bébés. Une cure par la parole, pour prévenir ou guérir les souffrances et certains troubles des nourrissons.
Label France : Comment avez-vous été amenée à pratiquer de l’écoute psychanalytique en maternité ?
Myriam Szejer : J’ai été formée par Françoise Dolto, en assistant à la consultation où elle recevait des enfants en bas âge. C’est en voyant combien ces enfants réagissaient vite au traitement par la parole, et à quel point il été primordial d’intervenir avant que les troubles ne s’installent, que j’ai voulu essayer cette méthode avec des nouveaux-nés.
LF : En quoi est-ce important de parler à l’enfant dès la naissance ?
Il est important en général de parler à un enfant car c’est un être humain, qui est pris dans le language et donc avide de ces paroles qui le construisent, même au niveau inconscient. Cela ne signifie pas que l’on puisse dire tout et n’importe quoi. Mais, parfois, il y a des choses capitales qui concernent son histoire et qu’il est décisif de lui dire le plus tôt possible, pour lui éviter d’en souffrir.
LF : De quoi faut-il parler systématiquement aux bébés ?
En cas d’abandon, il faut en expliquer au bébé les raisons et lui dire ce qui va lui arriver. A un bébé dont la mère a traversé un deuil important pendant ou avant la grossesse, deuil dont il a senti les effets à travers le corps de sa mère, il faut pouvoir dire, par exemple, simplement : « Mon père est mort et tu ne le connaîtras pas. Ce n’est pas à cause de toi que je suis triste mais à cause de la mort de mon père. » Dans le cas de la mort d’un jumeau pendant une grossesse, il faut expliquer au survivant qu’il pourra garder dans son coeur le souvenir de son frère ou de sa soeur mais qu’il ne le verra plus. Il est primordial de dire ces vérités aux bébés, même si elles semblent très dures, parce qu’elles le concernent intimement. Ces paroles permettent à l’enfant d’organiser ses perceptions et de leur donner un sens.
LF : Quand intervient le psychanalyste ?
Il intervient quand il y a souffrance. Elle peut apparaître chez l’enfant, la mère ou le père et est repérée par le personnel des maternité qui propose alors aux parents de me rencontrer. Ce n’est jamais une prescription. S’ils acceptent ils sont en situation psychanalytique, c’est à dire de demande d’écoute, et donc disposés à parler. Pour la mère ce peut être au moment du baby blues. S’ils refusent cette proposition, il faut le respecter et se contenter de traiter médicalement.
LF : Qu’est-ce que le baby blues ?
Le baby blues est cette véritable dépression que traversent 90 % des femmes vers le 3e ou 4e jour après l’accouchement. Pendant cette période de prise de conscience profonde et aussi inconsciente qu’il y a eu séparation, elles ont une disposition tout à fait stupéfiante à parler de leur intimité et des blessures qui peuvent se rouvrir à la faveur de cet événement fondamental qu’est la naissance d’un enfant. Les premiers jours, la mère comme le bébé sont encore sous le choc, ils sont fatigués mais contents. Puis la mère peut être assaillie par une grande tristesse, le sentiment d’être laissée pour compte, la peur de ne pas y arriver. C’est le contrecoup normal de l’accouchement et c’est le moment où tous « les cadavres sortent des placards ». C’est le moment de parler. Une naissance remet en effet en question les rapports de filiation ; tout le monde est bousculé pour faire de la place au nouveau venu : les grands-parents se retrouvent en première ligne par rapport à la mort, les frères et soeurs doivent partager l’espace, le couple doit s’aménager en fonction de cette famille qui se crée ou s’aggrandit. Tout cela se fait plus ou moins facilement en fonction de l’histoire de chacun. Quelquefois, c’est douloureux et les psychanalystes peuvent alors apporter une aide.
LF : Le bébé est-il capable de sentir ce qui perturbe sa mère ?
Déjà, pendant la grossesse, il existe une communication intense entre la mère et l’enfant. Dans les premiers temps de leur vie, on sait que les nouveaux-nés sont extrêmement perméables aux émotions de leur mère, qu’elles soient positives ou négatives. Quand un bébé va mal, parce qu’il sent la souffrance de sa mère, il exprime son malaise par des pleurs, des plaintes mais aussi par la désorganisation de ses fonctions vitales : troubles du sommeil, de l’alimentation, de la digestion. Un bébé s’exprime essentiellement par son corps. Qu’une femme me raconte le deuil ou l’événement qui est la cause de sa souffrance, et son bébé, qui est dans son berceau à l’autre bout de la pièce se met à hurler. Les nouveau-nés sont encore « branchés » émotionnellement sur leur mère. Et cela dure d’ailleurs de nombreuses années...
Propos recueillis par Anne Maguet
A découvrir également :
A corps et à cris, être psychanalyste avec les tout-petits, de Caroline Eliacheff, éd. Albin Michel, Paris, 2000.
[1] Myriam Szejer est également la présidente de l’association « La Cause des bébés » et l’auteure de Des mots pour naître, l’écoute psychanalytique en maternité, éd. Gallimard, Paris 1997
Article extrait du n°43 (3e trimestre 2001) de Label France, publication du Ministère des affaires etrangeres consultable sur son site.http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/fr...
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Notes
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